PRECEDENTE

 

DEUXIEME  ENTREVUE


Un jour, elle me dit : « Viens, au sommet du Mont Carlin.»

J’arrive. L’altitude de quelque quarante mille crânes humains et la température d’au moins cinquante degrés de mystère. Elle n’est pas là, car c’est moi toujours.


– O ! Hé ! Où es-tu ? je m’écrie.
– O ! Hé ! Où es-tu ? répète la montagne.

– O ! Hé ! Je suis, et toi ? j’insiste.
– O ! Hé ! Je suis en toi ! répond la montagne.


Je suis de nouveau dans la vallée, et le myocarde pompe régulièrement un liquide visqueux, de couleur rouge, à travers les structures de mon organisme. Est-elle en moi ? 

Tiens, elle m’inspire : « Vivre, c’est avoir raison et, en conséquence, car la raison n’est qu’une conséquence, l’appliquer ».

Et j’ai ce privilège d’être esclave de ma propre raison. Mais, elle, la mort, mon inspiration, s’oppose et remarque :

« Mourir, c’est abandonner la raison, ne devoir rien à la conséquence. Il faut que tu saches aussi que vivre, c’est observer la nature, la réduire à une opinion personnelle et, ensuite, reproduire cette opinion dans la même nature ».

Comment la mort peut-elle parler ? Elle, un silence parfait!

Comment la vie peut-elle se taire ? Elle, un bavardage sans fin!

Ah ! Tu cherches la conséquence ! La raison ! Parfois elle s’effondre, vois-tu, et elle s’échappe de la cage, la conséquence.

 

La vie, c’est la mort
qui parle de la conséquence.
Et la mort est quand
la vie ne parle pas
de la mort.

 

– J’explique. La mort parfois s’échappe du vide. Elle devient. Et en devenant elle doit - vivre. En devenant, l’ici est, le maintenant est. – Mais explique-moi encore, pourquoi retournes-tu dans le vide ? Sache que si je m’échappe du vide, c’est qu’il n’est pas parfait, et que c’est le désir d’atteindre un vide encore plus parfait qui est à l’origine de mon évasion.

– Et comment t’évades-tu ?

– La quête de la raison, le perfectionnement des conséquences, la logique, ce sont eux qui me libèrent de la vie. Ecoute ce discours de la raison:

 

Je ne dois rien.
Il n’y a pas de raison donc.
La cause et l’effet sont un.
Aussi, le passé et le futur sont-ils un.

 


Qu’est le « un » ?

Le sans raison.
Le sans sens.
Le sans mémoire.
L’absurde.

Est-ce l’instant ? 

L’instant est ce qui peut dire : « Je ne dois rien ».

 


 

 

TROISIEME ENTREVUE


La pensée n’est pas un présent. La pensée est la « conséquence », l’effet d’un présent, la raison même.

C’est à cause du fait qu’un présent, un instant sans raison, un instant absurde dans le passé eut lieu, que la raison est.

 

Sans un passé absurde, 
il n’y a point de raison.

 

Le processus de partage du présent en présent local et présent extérieur, le processus d’extraction d’une tranche d’absurdité particulière hors de l’absurdité globale, est la conscience de séparation.

Elle est la dégradation de la perfection du présent, du sans raison, de l’absurde. Cependant la conscience de séparation rend possible la rétention du sans-raison, l’individualisation de l’absurde, la rationalisation, la production de la matière, de la connaissance et du plaisir. L’état de conscience de séparation précède l’état de conscience d’union de ce qui devient la raison.


– Dis-tu donc que « Sans un passé absurde il n’y a point de raison » ?
– Oui. C’est cela. Sans ce dialogue absurde avec la mort, comment voudrais-tu qu’une telle idée puisse naître ?
– Veux-tu dire que l’absurde transcendé est une raison ? 
– Oui.
– Mais qu’est alors le présent ?
– Le présent est l’effet de la raison, l’effet de la conséquence. Le présent, l’instant, le maintenant, le sans-raison, l’absurde, sont post-raison. Ils sont les résultats des raisons qui eurent lieu dans le passé. Autrement dit, l’activité de la raison prépare un futur présent absurde.

 

Il n’y a point d’absurde 
sans qu’un passé raisonnable ait été.

 

A cet instant,
pour être franc,
je suis nulle part
et partout.

C’est exactement comme si au début
la fin était déjà atteinte.
Ou bien comme si « Comme si »
était déjà « C’est ».
Ou bien comme si
ce qui est fait
était seulement « Comme si ».

Et je sais que j’ignore,
ce que je sais
sur les choses,
bien que j’ignore
ce que je sais
sur les non-choses.

Tout cela se développe
comme ça, en passant, pour dire que
la symbiose, 
notre symbiose, est, 
et que « Je »
parfois est moi
et parfois non.


– Certes, tu dis des choses, mais j’aimerais savoir ce qu’est la pensée.

– L’élimination du vieux présent qui n’est plus, la destruction de la mémoire, le dérangement de l’immobilité, sont la pensée. La pensée est l’état de conscience de séparation de la raison. C’est elle, la pensée, qui par la destruction de la raison, mène vers l’instant absurde. Sans la mise en mouvement de la raison, sans la pensée, il n’y a pas d’instant, ni de présent.

 

Il n’y a pas de présent sans la pensée absurde, dis-tu?

Je vois cela, mais je ne comprends pas,
et puis, je comprends, mais je ne vois point.
Je suis quelque part dehors
et puis, je tombe dedans.

Il n’y a donc pas de présent sans la pensée ?
Dis-tu ?

Ah ! Sans une pensée dans le passé !
Car la pensée bien sûr
précède « l’instant sans pensée ».

C’est ça. Il n’y a point d’instant sans la pensée !

 

 

 

 

Y

Hier, j’ai noté quelques idées.
Aujourd’hui, à la lecture, je les ai beaucoup aimées.
Et je les ai brûlées. Toutes. Elles. Une raison d’hier.

 

 

 

Y

– Qu’est-ce que le futur ?
– Ne t’ai-je pas déjà répondu ?
– Si, mais c’est afin de désagréger ma raison que je pose le plus de questions possible.
– D’accord. Répondre à une question bête n’est pas sage, mais répondre à une question sage est fatalement bête.

 

Né de l’un,
moi, une raison binaire,
je n’ai qu’un désir,
ignorer le deux.

 

 

PAGE

CHAPITRES