PRECEDENTE

 

QUATRIEME  ENTREVUE

 

Soudainement, le paysage change.

Une convocation : « Viens. Je suis là, à la mer, sur la Plage de la Ris ».

– Ah ! Enfin !
Je pars,
( ma raison sera celle,
qu’elle affrontera)
à la mer.
Elle et moi.


J’arrive. Une plage vide. Vent.
Vagues, oiseaux et quelques crabes.


– Suis-je toujours ?
– Tu es, tu es, répond le vent.
– Pensée, pensée, ajoute un crabe.



A cet instant, un poisson, venant des vagues, s’approche, s’assied près de moi, et dit :

Vegator est mon nom, le nom de la raison qui vient d’être synthétisée sur la Plage de la Ris. Mon origine est chaos, mort, analyse et destruction. Ma destinée est ordre, vie, synthèse et création. Moi, Poisson Vegator, j’ai des choses à te dire, écoute donc ce récit.

Une population de poissons habite une mer, un domaine stable en conditions climatiques et en alimentation. Bien sûr, la mer, un domaine limité, est entourée de la terre et de l’air : des mondes où les poissons ne peuvent pas vivre.

Vivant dans la mer, chaque poisson-individu applique une série de règles qui lui assurent la survie et la reproduction. Ces règles sont transmises d’une génération à l’autre, en partie par voie génétique et, en partie, acquises dans le milieu.

Du point de vue de l’individu, les règles sont ce qu’il considère comme raisonnable, comme ce qui a du sens - là où il se trouve. En effet, chaque poisson réalise la raison de base de son espèce qui consiste à faire en sorte de rester dans le domaine, donc à continuer la répétition de sa raison. Quitter la mer est la mort. Contester la raison est contraire à l’expérience, au bon sens ; c’est un suicide, c’est absurde.

Cependant, à la limite de la mer, les conditions de vie sont différentes de celles de la pleine mer. Il arrive que certains poissons soient jetés par les vagues sur la terre, en dehors de leur domaine.

Comment s’en sortent-ils, que font-ils, demandes-tu ? Eh bien, ils appliquent, ils répètent leur raison, leur connaissance de nager. Sur le sable de la plage, ils font les mêmes mouvements que ceux qu’ils faisaient dans l’eau. Malgré l’absurdité de la situation, ils « nagent » sur le sable, ils continuent leur raison. Et, parfois, ils retournent dans la mer et, parfois, ils meurent sur la plage.

Si l’on observe plusieurs générations de ces poissons, on constate, qu’avec l’écoulement du temps, ils changent, ils mutent. Les nageoires deviennent des pattes, les poumons se développent, etc. - ces poissons retournent dans la mer plus facilement qu’avant. 

Cependant, moins bien adaptés à la mer, ils restent près de la limite. Maintenant, la plage pour eux n’est plus un domaine interdit, mortel, absurde. Avec le temps, avec la répétition des événements, une nouvelle espèce s’implante sur terre. Son concept de réalité, sa raison, est de vivre sur la terre, alors que descendre dans la mer est totalement absurde. En effet, la raison du mutant est en opposition avec celle de son ancêtre.


– Qu’a-t-il bien pu se passer ?
– Qu’est-ce qui a fait muter la raison ?
– La plage ? Les vagues ? Je m’exclame.


A la limite de la mer, de l’air et de la terre, l’état du milieu est la manifestation de l’interaction de ces domaines fondamentalement opposés.
La limite est une zone de contestation des raisons. Et c’est là, sur la limite, que l’individu perd le sens de sa raison, et c’est aussi là qu’une nouvelle raison peut naître.

 

La raison, la conséquence de l’un, naît là où il y a l’opposition, 
et pour que l’opposition soit, il faut, au moins, deux éléments. 

La raison, le nombre, 
la logique, commencent avec le « deux ».

Le « un » n’a pas de raison.

Une raison seule, « un », est absurde.

 

– Le « un » n’a pas de raison ? Pensai-je encore.

Comme je l’ai déjà dit, la raison commence avec « deux » et, avec elle, naît l’incertitude de la détermination lequel, de deux éléments, est le plus parfaitement « un », car l’un se réfère à l’autre. Cependant, tant qu’il y a l’autre, il n’y a jamais de détermination parfaite de l’un, il y a toujours une « erreur », une incertitude, un mystère d’identification.

Et ce n’est que la séparation de deux éléments, l’éloignement de leurs raisons qui établit l’état de certitude de l’un. La séparation, l’absence de l’autre, la solitude, restaurent l’état auto-référentiel, l’état de la raison unie, donc absurde.

 

PAGE

CHAPITRES