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CINQUIEME ENTREVUE

 

Partir, partir,
quitter la plage absurde.
Aller, aller,
la paix m’attend
au fond
du temps.

 

 

 

PAR  POISSON 

 

MESSAGE :

Viens, je suis dans ta tête.

 

 

J’arrive. Personne.
Vide est cette tête.

J’installe ma conscience.

Tu ne penses qu’à toi ! J’entends une voix.
Je t’ai choisie, ô pauvre tête absurde
car tu es pleine,
parfaitement,
de sens.

O ! Moi ? Plein de sens ? Je tremble.

Et rien de ce qui sera dit, continue-t-elle,
ne s’échappera
ni dans la nature,
ni dans la structure
de ton esprit.

Un nouveau discours te frappera !
O ! Pauvre tête
sans doute.

Donc. Je me retire
sur la banquette
au fond du crâne,
loin de la zone
limite.

Silence.
Silence.
Silence.



... la recherche de l’absurde est la voie de destruction des références ; et l’individu qui s’y engage est, simplement, fou, résonne dans ma tête.

– Bien sûr qu’il est fou. Chercher l’absurde, quelle idée ! je pense et puis, tout tranquille, je déclare : 
« Moi, quand je ne vois pas où je vais, j’avance. Et quand je sais où je vais, je recule. »

 

 

Aller dehors, 
aller vers un autre monde...
Quitter ce maintenant pour un autre maintenant...
Détruire mon temps-espace 
pour entrer dans un autre... temps-espace ?
Me libérer des liens...
Abolir des valeurs...
Transgresser des limites...
Me transcender...
est
se séparer de ma certitude, 
est se séparer de ma raison, 
est SOUFFRIR, 
est « Ne pas être ».

 

 

 

– Sans doute tu sais des choses. Parle-moi encore de ceux qui recherchent l’absurde.

– Evidemment, quand je vois les poissons sauter sur du sable, quand je vois les esprits « créatifs » qui foncent hors de la raison commune, je suis émerveillé. Or, leurs activités « d’exploration » ne sont rien d’autre que la propagation de leurs raisons. Elles sont un effort afin de quitter la « plage » et d’éviter l’état de limite.

– Mais ils découvrent des terres nouvelles !

– Quelle importance ? Ce qui compte, c’est d’échapper à la souffrance, de réduire le conflit entre leur raison subjective et la raison objective de l’environnement, d’éviter la destruction par l’ignorance. Et le seul moyen qu’ils aient est la réalisation de leurs raisons.
– Et les autres, qui nagent dans les eaux clémentes ?

 

 

Etre là, être ici...
Rester dans le maintenant, dans le présent...
Accepter la limitation de l’ici et du maintenant...
Approuver la dépendance de l’interdit...
Accepter les lois et les valeurs...
Donner raison aux liens...
Continuer le status quo...
Me justifier...

... est « être » certain, 
est avoir « raison », 
est s’incliner devant ici et maintenant, 
est s’unir
est être en état de PLAISIR.

 

 

Celui qui est raisonnable, qui ne pense pas plus loin que sa raison le lui permet, qui n’essaye pas d’observer les choses inobservables, qui ne commet donc pas d’erreurs ( par rapport à sa raison ), celui-là demeure en état de raison de plaisir.

Essentiellement, c’est un état de stabilité et de reproduction fidèle des raisons grâce à la continuité de la conservation des valeurs. Les individus dans cet état alimentent la plage de mutation en raisons-valeurs suffisamment cohérentes pour qu’elles puissent être contestées.

En effet, les populations stables sont la matière première pour le processus de l’évolution. C’est de là que l’on tombe sur la plage, là où l’alchimie de l’évolution se fait.

– Si je m’entends bien, tu as raison, ma chère.




FIN

Au Cimetière du Bonheur Ultime, Juillet, 1150

 


 

 

 

 

Fin ? Ce n’est pas si simple.

 

Demain matin,
au coucher du soleil :

Le vide.
Absence de conséquences,
donc un pouvoir infini.

Combien d’ambiguïté
pour être clair,
totalement ?

La mort et moi,
nous nous trompons
mutuellement,
et notre symbiose,
notre danse
absurde,
au rythme des vagues,
évolue.

 

 

 

 

 

 

SIXIEME  ENTREVUE


Par le miracle du délire et de la raison, emportés par le va-et-vient des pensées, nous quittons la tête et tombons dans l’eau de mer, dans le règne des individus unis, auto-référentiels, absurdes, dans le royaume des molécules d’eau. Toutes, elles sont gouvernées par la raison quasi parfaite, par la conséquence, donc par la certitude et la détermination, donc par la mort. Ici, les individus demeurent en état de séparation, leurs relations très faibles nous paraissent chaotiques, vides de sens.

Etant presque identiques, leurs raisons individuelles - justes, et les raisons extérieures - absurdes, sont inversées. Ce qui peut arriver à un individu donné ne peut être égal qu’à l’action qu’il est capable de réaliser envers les autres.

Ainsi, une faible variation du présent, une monotonie de relation, produisent-elles de la certitude : le futur ne peut être différent du passé.

Une perturbation de cet état de mort par une raison extérieure à ce domaine, comme sur la « Plage de la Ris », crée la réduction de la raison-certitude des individus touchés.

Ton arrivée, par exemple, ici dans le royaume de la mort, est une arrivée de l’absurde. Une bouffée de l’absurde, que tu es, déstabilise localement la certitude, injecte de l’incertitude, de l’espace, dans le bloc monolithique de la raison unie.

 

Enfin ! Enfin !
Absurde, absurde je suis !
Une bouffée
d’incertitude,
aussi.

Enfin quelqu’un,
un non-moi,
le dit.

J’ai envie, envie
de courir sur la plage,
plonger mes pieds
dans du sable chaud.

O ! O !
Mes pieds dans l’eau ?
Quel avantage évolutif,
c’est !

Je quitte donc
ce domaine mouillé
et j’appuie mes pieds
sur un phénomène
quelconque.

 

 

– Soit. Parlons donc de pieds.

Si nous mettons un pied dans l’eau, elle ne produit aucune résistance, et quand nous le retirons, l’eau reprend sa forme initiale. La certitude-raison d’individus-éléments d’eau est tellement grande que la perturbation n’a pas de conséquence. 

Tu vois bien où sommes-nous. Par contre, quand nous marchons sur du sable mouillé, là où la certitude des grains de sable, à cause de leurs relations-liens, est moins grande, notre pied laisse une empreinte. Et si notre pied tombe sur de l’argile, l’empreinte est presque parfaite.

Que se passe-t-il, demandes-tu ?

Sur la raison du sable, l’absurde a créé une structure, a laissé une trace. L’empreinte a retenu la forme d’une raison absurde ! Quand nous posons un pied sur du sable, l’objet unique, le pied, crée son double, son image. La raison unique, absurde, libre, se reproduit, est «piégée». Même si l’image créée n’est pas parfaite, elle est une reproduction. Et cela est un début, une conception d’une nouvelle raison.

Toujours est-il que l’empreinte est une image inversée de l’original. Or, c’est l’union de « égalités » opposées qui fait « un », l’état de deux virtuels, l’état de plaisir. Tu sais bien qu’il est difficile d’enlever le pied de son moule, de séparer les deux, de rompre le plaisir d’union. L’existence, les deux séparés, la souffrance, naissent au moment de la séparation. Et quand nous nous éloignons, l’empreinte et le pied, après leur aventure d’union, deviennent de nouveau solitaires, auto-référentiels.

– Mais que veut dire exactement une copie inversée ? Qu’est-elle, en fait ?

En termes précis, l’empreinte est un concept-énergie-ignorance évoqué par la référence-matière-connaissance. Etant un concept, une raison virtuelle, une empreinte possède un sens uniquement par rapport à la matière qui l’a créée, et ce sens se réalise par la reconstruction de la raison qu’est cette matière. Seule la récréation de la matière de référence promet le retour dans l’absurde état de l’un.

 


 

 

 

 

SEPTIEME ENTREVUE


Par correspondance :

 

 

 

 

Ma Chère !

Toujours, toujours des obstacles 
à la liberté totale.

Tantôt une fourmi,
prise en otage par un cours d’eau,
qu’il faut libérer,

tantôt moi-même,
du filet de mes pensées,
qu’il faut sauver.

Tantôt n’importe quoi, qu’il faut.

La solution optimale,
je le pense bien,
est l’inconnu,
le hasard absurde.

O ! Hasard !
O ! Incertitude libératrice !
Où es-tu ?


Valcros, le 17 décembre, 2351

 



P.S. Il y a donc toujours un désir.

 

 

 

 

Mon Cher !


J’ai bien reçu ta lettre 
du 17 décembre.

Libère-toi des liens.

Sépare-toi du monde.

Sois un avec toi-même.
Et alors, va sur le Pont Aio.
Monte sur la barrière.

Je serai là,
là et là.






Le Bois d’Asart, 
le 22 avril, 1271

 

 

 

 

 

 

 

 

Ma Chère !

J’étais là,
sur la barrière.
Mais un coup de vent
me jeta sur le pont. Hélas !

Fils du hasard
et de la raison,
qui suis-je ?

Que fais-je là ?
Sur cette passerelle ?


Pont Aio, le 12 mai, 1505

 

 

 

 

 

 

 

Mon Cher !


Lie-toi
par des ponts.

Ancre-toi
dans la vie.

Sois un pont
toi-même.

Je viendrai.

Je serai là,
là et là.


Roc A, le 6 Ootobre 2341

 

 

 

 

Ma Chère !


Depuis quelques instants,
je sais, je sens :

je tourne autour
de quelque chose.

C’est ça. C’est
comme partir à la recherche
et en même temps
arriver, trouver.

Et toi, toujours en moi,
tu tournes autour,
de quoi ?



Orzechowo, le 14 août, 1992

 

 

 

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