LE PAYS D'ORLIN
Doux Lecteur, imaginez donc maintenant que Veris et Erspine, emportés par l'orage, s'étaient aventurés jusque sur le dos de ce monstrueux dragon où ils aperçurent, sur une de ses écailles, la très belle dame au visage rond qui, après un long moment de silence, dit :
– Chevalier Veris et vous, douce Erspine, soyez bienvenus dans le Pays d'Orlin. Que l'Absurde soit avec vous et que nulle raison ne s'empare jamais de votre esprit.
– Gracieuse dame, dit Veris, par Saint Pagras de Volxar et par la foi que j'ai en l'Absurde, que faites-vous sur le dos de ce dragon? N'avez-vous pas peur de lui? Etes-vous ange, fée ou créature terrestre?
– Bel ami, répondit-elle, puisque vous me voyez, vous plaisez à l'Absurde, et il n'y aura point d'indécence à ce que je vous dise mon nom. Je suis la Reine du Pays d'Orlin et de Dragunie, appelée aussi Sainte Ysse protectrice des dragons gardiens des trésors.
– O sainte patronne des dragons! fit Veris. Béni soit l'instant où nous sommes arrivés ici !
Quant à Erspine, elle pensa : "Je me demande si l'absurde n'est pas simplement... le divin?". Mais à haute voix elle dit simplement :
– Sainte dame, que l'amour de l'Absurde ne vous quitte jamais, que vos amis dragons soient toujours en bonne santé et que les Saints Trésors ne perdent jamais leurs mystères.
Après ce long accueil plein de courtoisie, Sainte Ysse proposa à Veris et Erspine de leur présenter ses amis dragons. Pour qu'ils puissent voir leurs énormes corps, elle demanda à nos amis de quitter le dos du dragon et de monter sur une haute montagne qui se dressait dans le voisinage. Quand ils furent arrivés au sommet, Sainte Ysse y était déjà et, d'une voix pleine de tendresse, elle s'adressa par ces mots aux dragons :
– Doux amis, je vous présente le chevalier Veris et son amie Erspine, le cheval le plus rapide du monde. Ils viennent de l'autre bout de l’Infini pour protéger avec nous les Très Saintes Reliques et Trésors.
Puis elle monta sur un petit rocher et, levant les mains au ciel, dit :
Vivants ou morts,
absurdes ou raisonnables,
que jusqu'à la fin du monde et plus,
nous soyons toujours gardiens de l'Incommensurable.