LA  PRESENTATION

Sur quoi les dragons se réveillèrent et levèrent chacun la tête vers Sainte Ysse. La montagne se mit à trembler, des avalanches de pierres en dévalèrent avec un tel vacarme et une telle poussière que personne ne doutait que c'était la fin du monde. Puis le calme revint et Sainte Ysse, s'adressant à Veris et Erspine fit les présentations:

 

– Voici Trior le Doux, dit "Crocodile", le gardien du Palais du Verbe. C'est sur son dos que nous nous rencontrâmes.

 

A ces mots, Trior courba l'échine, ses écailles frottèrent les unes contre les autres, faisant un bruit sec semblable au fracas de roches broyées dans une carrière. Il souleva son énorme tête, ouvrit la paupière gauche, lentement tourna le globe de son oeil vers nous et, d'une profonde voix comme sortant d'un puits, dit :


Douce Ysse, douce Ysse, val

 

– Gracieux seigneur Trior, cria alors Veris, par l'amour des trésors cachés dans l'espace, je vous salue !

 

– Beaux amis Veris et Erspine, répondit-il, soyez les bienvenus dans Notre Pays d'Orlin.

 

– Ami, demanda Erspine, dites-nous, s'il vous plaît, ce que vous faites, vous, gardien redoutable, pour protéger au mieux l'Incommensurable Trésor Pe ?

 

– Je compose des poèmes, répondit-il, je les chante, la montagne les écoute et ainsi nous créons l'Infini qui protège Notre Saint Trésor. Je vous assure que nul autre n'entend ces poèmes, donc nul n'essaye de les comprendre, ni de les rendre compréhensibles. Ils volent, libres, comme tout ce qui est absurde.

 

– Par ma foi, vous avez une très étrange âme, dit Veris, mais nous qui sommes gardiens, les entendrons-nous? Chantez un poème, je vous prie.

 

– Très doux ami, insista tendrement Erspine, chantez un poème, faites-nous cette faveur.

 

– Amis, je suis fort embarrassé de chanter devant un auditoire car, en vérité, je ne connais aucun poème. Quand je chante, je dis ce que j'ai à dire, rien de plus, et c'est cela que j'appelle un poème. Mais doux amis, voulez-vous vraiment entendre ce que je ne connais pas ?

 

– Oui, oui, s'écrièrent Sainte Ysse, Veris et Erspine, chantez, chantez.

 

C'est alors que Trior, d'une voix très clémente, mit à flotter ces mots dans l'espace autour de nous :

 

Amis!

J'observe le monde,

et j'aimerais conter ou décrire
ce que je vois, ce que je sens,
simplement partager ce que je suis,
mais, chacun de nous ressent cela,
car chacun de nous est.

Et j'hésite.
Un sentiment, vaut-il une narration?
Un poème?

Par exemple le soleil couchant:
cette banalité rouge en forme de ballon,
vraiment, qu'a-t-elle de remarquable?

A travers la couronne de hauts sapins
une lumière rose tombe sur les troncs,
éclaire la jaune écorce.
Règne la senteur de la résine
et je ne sais pas pourquoi
mais cela me parle.


Ou bien,
en montagne,
sur un simple champ de thym,
quand tu suis un mince sentier
entre chardons, buis et petits chênes,
que ressens-tu?

L'Absence de toi,
avoue-le.

Surtout si le vent souffle de la vallée.

 

Le dragon finit de parler et tout le monde vit voler les paroles dans l'air: certaines semblables aux oiseaux et d'autres pareilles aux feuilles qui tombent en automne.

Ils virent aussi que certaines d'entre elles se séparaient en lettres qui s'unissaient pour former d'autres mots.

Un mot très étrange, en forme de coeur percé d'un clou, passa tout près de Veris lui disant :

 

DACALOXAVIS

 

Un autre, semblable à une épine ailée, faisant le son :  miim ... ccc ... aaa ... et pss ... s'accrocha à la tête d'Erspine.

 

Photographie de ce mot