AU  CIMETIERE

Un courant d'air frais et une odeur de thym lui disent qu'il va quitter le souterrain. Veris voit qu'il se trouve dans un cimetière. Il voit en effet, car la lune est pleine, juste en face de lui, une tête de cerf! Non, c'est un tombeau en forme de tête de cerf!

 

– Par Dieu, pense-t-il, il y a aussi la pioche et la croix. C'est en vérité le plus beau tombeau du monde. Je suis arrivé!

 

Sur la dalle du tombeau, une inscription :

OBIIT IMAGINA LIS
SIT TIBI TERRA LEVIS
(1)

Veris prend alors son épée et l'enfonce dans une fissure visible entre la tête de cerf et la pioche, et puis pousse la dalle tombale qui sans résistance s'écarte: apparaît un petit escalier en colimaçon. En silence, Veris descend dans le tombeau.

Arrivé à une chapelle, il aperçoit un sarcophage en pierre rougeâtre sur lequel sont gravés des signes étranges et cette inscription :

HIC IACET SUBSTANTIA MUNDI (2)

Le sarcophage est ouvert et Veris s'en approche. Il voit qu'il contient un squelette couvert d'un drap de lin brodé de fils d'argent.

 

– Seigneur Substantia Mundi, pour l'amour de Dieu, veuillez excuser mon intrusion dans votre demeure. Je suis le messager du Seigneur Arbre Vox, dit Veris.

 

– Beau chevalier, répond le squelette, soyez le bienvenu dans le Château Tombeau de Lumière.

 

Veris ne sait pas bien de quoi parler avec le squelette, mais au bout d'un moment il dit:

 

– Seigneur, vous êtes bien mort, me semble-t-il.

 

– Oui, mon ami, répond le squelette, je suis bien mort.

 

 

 

(1) Mort est Imagina Lis. Que la terre te soit légère.
(2) Ci-gît l'essence du monde.


 

Photographie de la tête du mort


– Excusez mon indiscrétion, mais je n'ai encore jamais parlé avec un vrai mort. Dites-moi, quand on est mort, que pense-t-on de la vie?

 

– Doux ami, qu'imaginer de plus stupide que de quitter mon puissant Château Tombeau de Lumière. Quoi de pire que chercher un autre château pour l'abandonner et en chercher encore un autre et un autre? Mais je sais, la vie est inévitable, et comme telle je l'accepte.

 

– Que voulez-vous dire par "je l'accepte" ?

 

– Eh bien, s'il fallait se lever, sortir de ce tombeau et pénétrer dans le monde des vivants, je le ferais, sans trop lutter pour rester là où je suis.

 

– Seigneur, croyez-vous en Dieu ?

 

– Certes, mon ami, répond le squelette, du mieux que je peux. "Credo quia absurdum" (3). Et pour la même raison, je crois au retour à l'état de mort.

 

– Voulez-vous dire qu'après votre naissance vous êtes certain de mourir de nouveau ?

 

– Mon ami doux, vous saisissez bien et vite mes paroles. Je suis très content de cet entretien, cependant notre discussion me vivifie un peu trop et nous devrons la terminer bientôt. Puis-je faire quelque chose pour vous? Allez, dites-le sans gêne.

 

– Seigneur, je voudrais savoir, avec votre permission et votre aide, ce qu'est la foi, dit Veris.

 

– O beau chevalier, répond le squelette, en vérité il n'est pas bon, pour celui qui est vivant, de savoir ce qu'est la foi, car le savoir et la foi sont deux grands opposés. Cependant je pense qu'il n'y aura pas grand mal si vous saviez que la foi naît d'une connaissance et qu'elle est la conception d'une hypothèse qui contredit cette même connaissance.

 

– Grands mercis, Seigneur Substantia Mundi. J'avoue que je n'ai pas compris vos paroles, mais je vous assure que je crois en ce que vous dites.

 

– Ami, le jour où vous saurez ce qu'est la foi, je vous céderai mon Château Tombeau de Lumière et ma place ici.

Sur ces mots le sarcophage se referme, devient flou et se transforme en tête de cerf surmontée d'une pioche et Veris voit que sa main retire lentement l'épée enfoncée dans la fissure entre la tête et la pioche. Il sent l'air frais et l'odeur de thym ...

C'est cela, il est hors du tombeau, dans le cimetière.

 

 

 

(3) Je crois parce que c'est absurde.


 

LE  PAYS  D'ORLIN