L’INCONNU
ou
An et Arol

L’on assiste à une double expérience de la transcendance de la réalité. Dans deux différents endroits, An et Arol vivent les transferts de conscience qui les projettent hors de leurs réalités ordinaires.

 

LE TRANSFERT D’AN

Allongé confortablement sur un divan, couvert d’un plaid, les yeux fermés, An respirait régulièrement. Par une fenêtre à demi-ouverte, on entendait les bruits de la forêt, de la rivière et du vent : l’ambiance caractéristique de Cario.

Il respirait lentement et le bruit de sa respiration se confondait avec celui qui venait de l’extérieur. An observait le fonctionnement de son corps ; les pulsations du coeur, le cycle de la respiration, les muscles ... C’étaient surtout les muscles qui n’étaient pas encore relâchés, qui étaient encore séparés, limités, qui attiraient son attention.

A ce stade, il ne sentait plus les électrodes de l’angevide ; très petites, leur froid métallique avait déjà disparu : elles avaient pris la température de son corps.


Il respirait lentement, sa pensée - toujours à la recherche de quelque chose - ne trouvait plus de sujet à explorer ; elle n’avait plus rien à quoi s’accrocher. Pourtant, elle cherchait, mais cette recherche se réalisait ailleurs.

 

 

L’expérience avait pour but la vérification de quelques faits d’un lointain passé, encore au XX-ème siècle, concernant les circonstances de la fondation de Cario et de l’invention de l’angevide.

L’angevide est un adaptateur - interface - reliant la conscience donnée au réseau du Vide. Il se compose de deux parties. 

L’une est l’instrument proprement dit, avec les capteurs, les détecteurs et l’ordinateur de commande et de contrôle et l’autre partie, séparée de la première, est constituée de la connaissance déstructurée et en mouvement. Cette dernière partie génère et annihile continuellement les différents concepts du temps et de l’espace.

Grâce à de multiples convertisseurs tels que PVI (pensée vers image), PVP (pensée vers pensée), IVP (image vers pensée) et d’autres unités de traitement du temps et de l’espace, l’ensemble - la conscience et l’inconscient du sujet - connecté à l’appareil, participe à la conscience et à la pensée du réseau Vide : il devient son élément. Bien sûr, c’est un état des intenses transferts d’informations. Certaines sont transmises vers le réseau et d’autres, vers le sujet. Et c’est là que se révèle l’intérêt de cette expérience : à la fin de la session, le sujet garde dans sa mémoire une partie des données transmises par le réseau Vide.

Bien qu’An connaisse parfaitement le principe et la construction de l’angevide, chaque fois qu’il accède au réseau, il prend avec lui un objet, une mascotte. Il dit qu’il aime avoir sur lui quelque chose d’absurde. Cette fois, il a pris un camée monté en bague qui appartenait à sa famille depuis des temps très anciens.

Il respirait régulièrement ... 

A côté de lui ... une vieille femme, en noir, 
la tête enveloppée d’un châle peint en fleurs.

Elle est très petite, étonnamment petite ...


Ils sont au bord d’un trottoir ... Traverser la rue ...
Un fleuve de véhicules, un incessant courant de voitures ...

Maintenant ! Le courant s’arrête ! 
La main dans la main, en silence, ils passent ...
Ils sont déjà sur l’autre rive.
Derrière eux - coule une rivière ...

Il tient toujours sa main,
la main d’une belle jeune fille ... elle rit ...

Son sourire arrête le temps !
et suspend le sens dans le vide ... !
Ses cheveux flottent ...
créent le vent et les nuages !
De son rire naît la montagne ! 
la forêt et le ciel ...

Elle souffle le temps vers le « maintenant »,
elle embrasse l’espace d’ici.
Elle enveloppe la terre et le soleil 
d’une écharpe de joie, du rire et de l’amour.

Regarde ! dit-elle ...

Regarde ! Ici !
Et le rire et le vent ...

Regarde ! Ici !
Comment se crée le vent !
Et le rire et le vent ...

Regarde ! Dans mes cheveux, il naît ! Ici !
Et le rire et le vent ...

Regarde ! Comment naît la pluie ! Ici !
Et le rire et la pluie et le vent ...

Regarde ! Dans mes yeux ils naissent ! Ici !
Et le rire ...

Regarde ! Ici !
Et de nouveau le rire, la pluie et le vent ...

Regarde ! Comment meurt ... le vent
Et le rire ...

Regarde ! Dans mes cheveux, le vent naît ...
Et le rire ...

Regarde ! Comment il meurt ...
Regarde ! Dans mes yeux, la pluie meurt ...

Regarde ! Dans mes cheveux, dans mes yeux, dans mon rire ...

Regarde ! Comment je nais ...
Regarde ! Comment je meurs ...