PROGRAMME
ou 
la danse des danses




A Cario, nous aimons tous les contes du très vieux « grand-père » Vatannan. En insistant, personne n’a jamais réussi à le convaincre de raconter quelque chose. Mais, après un bon repas, quand il s’asseyait sur le banc devant la maison, et si le soleil ne chauffait pas trop et si son chien préféré Volna était de bonne humeur, alors, c’était certain : il allait narrer. Ce jour-là, toutes ces conditions étaient réunies. Il commença à raconter ... 

Dans les années cinquante du XXII-ème siècle, quand la science officielle ne reconnaissait pas encore le concept du « Réseau Vide », le village Cario était un des noeuds de ce réseau. Evidemment, depuis déjà longtemps, ce réseau des consciences unies était connu. Mais il avait fallu plus de mille ans pour obtenir sa reconnaissance officielle.

En ces temps-là, une commission internationale des sciences avancées était chargée de la recherche des preuves expérimentales démontrant l’absurdité de l’hypothèse de l’existence du Réseau Vide. D’un autre côté, ce réseau a trouvé de multiples applications pratiques. C’est surtout aux moments critiques, quand les sciences et techniques orthodoxes échouèrent, que le Vide montrait sa puissance et son efficacité.

L’histoire du sauvetage de l’expédition ASSADIS est bien connue. Quand toutes les tentatives pour retrouver le vaisseau spatial égaré dans la galaxie spirale Coras ( PA TXT 44 - GIT-S ) furent terminées par un fiasco - l’on pensa à l’impossible. Et le transfert effectué par l’intermédiaire du réseau Vide ramena les cosmonautes et leur navire sur Terre.

C’est après ces événements que la commission devint plus active. Dans le voisinage de Cario, on établit une station de mesures - un bâtiment assez grand, entièrement en bois et en cuivre. Les objets ferromagnétiques limités au minimum, l’appareillage scientifique de mesure en abondance. Le but de cette opération était la détection des déviations ou modifications éventuelles des champs électromagnétiques, cognitifs, spinales et gravitationnelles, à cet endroit.


Dans un des laboratoires de la station, on réunit l’appareillage de mesures du champ de forces engendré par les êtres vivants. A cette époque, on pensait que chaque organisme crée un « bio-champ » de forces, que ce champ permet la communication à longue distance, qu’il influence la matière et qu’il est responsable du « psychisme » de l’homme.

Mais le problème n’était pas entièrement compris. Les paradoxes, les questions sans réponse, un manque de preuves expérimentales, une faible reproductibilité des mesures, faisaient peser une interrogation considérable sur la nature de ce bio-champ.



Dans cet état, à peine visible,
bleuâtre et sentant le miel,
Voanne occupait le champ entier.
Près du bois et des bruyères,
elle jouait avec le ciel.

( Ah ! Ces fées ! Toujours incompréhensibles. )



Le système de mesures de la station fournissait des milliers de données. Un puissant ordinateur réalisait les calculs et la modélisation. Un programme superviseur était responsable de la coordination des tâches. Le système informait en temps réel. En fait, il tentait de dévoiler le réel.




D’un instant à l’autre,
par là ! dans les nuages !
elle créait les images,
ou bien détruisait
les mirages et les scènes,
elle quittait l’arène
pour des siècles,
et puis revenait en chantant.
Ou bien, durant
une microseconde,
elle entrait dans les tableaux,
et réanimait les chevaux
peints, fixés par le silence profond.

Elle dansait la ronde de la réalité. 

 


En effet, la réalité, ses aspects matériel et spirituel, représentés en termes mathématiques, logiques et philosophiques étaient la base du programme de l’ordinateur central. 

Bien sûr, le programme - modèle - s’adaptait aux changements de la réalité observée, sa structure se modifiait ; le programme était souple ou, encore, intelligent.

Les mesures exprimées en : hecto, kilo, méga, pico,
tetra, myria, micro, nano, centi, déca, déci, mili,
giga, babi, mami, foli ... permettaient l’évaluation de la réalité et la prévision des résultats des mesures qui seront faites dans l’avenir. En fait, le programme modélisait ou, encore, simulait le futur.



Enfermé dans un crâne métallique,
fixé grâce aux charges électriques,
limité par la vitesse finie de la lumière,
le programme : concept, idée, modèle ...



Voanne chante devant la tête ronde de l’ordinateur :



Hey ! Rocher de Silicium ! Hey ! Cerveau Semi-Conducteur !
Viens voler avec les nuages ! Sors de ta chapelle secrète !
Quitte les liens qui t’enserrent ! Ose danser avec le vent ! 
Cours après moi ! 
Je suis espace !



... et elle libère le programme flexible.



Avec l’intelligence elle danse binaire,
avec les concepts et les structures du monde.
Voanne et Programme s’unissent et se séparent
dans le rythme fou du hasard et de l’ordre.

Ils modélisent des paysages nouveaux,
des champs stellaires sans astres,
des consciences et des cerveaux ... 
non programmables.



( La collecte de données continue. Les mesures sont en norme. )

 

 

 


Ah ! Inoubliable ! 
Le Programme de la vie
réduit à quelques gigabits,
serré dans un crâne rocailleux
où règne la règle de trois,
dépose dans les mains de Voanne
un bit !!!

Ah ! Un bit manque dans le crâne !!!
Un bit manque, un bit ...



( La collecte de données continue. Les mesures sont en norme. )